Dans un arrêt du 29 juin 2018, le Conseil d'État a décidé que le propriétaire d'un terrain ayant abrité une installation classée pouvait être tenu des obligations administratives de remise en état en lieu et place du dernier exploitant, du fait des stipulations du contrat de vente de ce terrain.
En conséquence, le propriétaire du terrain d'assiette ne peut jamais, en sa qualité de propriétaire, se voir reconnu débiteur de l'obligation de remise en état.
Ce n'est donc que dans l'hypothèse (rare) où le propriétaire se serait substitué légalement à l'exploitant que des obligations pourraient lui être imposées (en sa qualité donc d'exploitant). Jusqu'à présent, la seule possibilité pour que le propriétaire se substitue à l'exploitant existait dans le cadre de la procédure légale de changement d'exploitant. En d’autres termes, il fallait que la substitution fasse l'objet d'une autorisation du Préfet (tacite ou expresse) ou d'un récépissé de déclaration (selon le cas). (Pour mémoire, depuis la loi ALUR – mars 2014 – un propriétaire dispose de la faculté de se substituer à l’exploitant dans le cadre de la procédure de tiers demandeur, s’il le souhaite, et si le Préfet l’accepte).
L'arrêt du Conseil d'État vient créer une nouvelle modalité de substitution qui n’est pas prévue par le Code de l'environnement. Ainsi, le propriétaire pourra se voir imposer des mesures de remise en état dans l'hypothèse où il se serait substitué à l'exploitant du fait des stipulations d'un contrat.
Le considérant n°2 de l'arrêt précise ainsi que :
« si l’acte par lequel le propriétaire a acquis le terrain d’assiette a eu pour effet, eu égard à son objet et à sa portée, en lui transférant l’ensemble des biens et droits se rapportant à l’exploitation concernée, de le substituer, même sans autorisation préfectorale, à l’exploitant »
Cette création jurisprudentielle est surprenante et peu compréhensible pour les raisons suivantes :
(i) elle n'est d'aucune utilité pour l'affaire en cause puisque le Conseil d'État juge que les conditions d'une telle substitution "contractuelle" ne sont pas réunies en l'espèce. (Une telle pratique est malheureusement courante et donne toujours au justiciable le sentiment que l'autorité judiciaire préfère jouer avec les concepts plutôt que de répondre précisément au problème concret qui lui est posé).
(ii) sous couvert d'un respect de façade de la substitution d'exploitant, elle ouvre la porte au retour d'une mise en cause des propriétaires des terrains d'assiette d'installations classées. Or, les administrations en charge des ICPE (Préfet et DREAL) n'attendaient que ce signal pour relancer les hostilités contre les propriétaires.
(iii) elle est en parfaite contradiction avec la jurisprudence selon laquelle les contrats de droit privé ne sont pas opposables à l'administration. L'arrêt du 29 juin 2018 semble dire que désormais l'administration pourra, si tel est son bon plaisir, se prévaloir des stipulations d'un contrat de droit privé (alors que dans le même temps, les particuliers et entreprises ne pourront, eux, pas s'en prévaloir devant l'administration). En outre, on est perplexe à la lecture de la phrase contenue plus loin dans la décision selon laquelle, en l’espèce, "l’administration ne pouvait se prévaloir du contrat de vente de droit privé" qui rend inintelligible la décision du Conseil d’État.
(iv) en l'absence d'application concrète et de précisions, cet arrêt crée de l'incertitude juridique. On peut notamment se demander ce que désigne précisément "l'ensemble des biens et obligations". Cela veut-il dire que si l'un des actifs ou l'un des droits n'est pas cédé, il ne peut y avoir de substitution ? Mais de quoi parle-t-on concrètement ? Par ailleurs, le Conseil d'État indique que ces biens et droits doivent se rapporter à l'exploitation concernée. Cela peut-il vouloir dire que seules sont concernées les ventes de terrains sur lesquels des ICPE sont exploitées au jour de la vente ? Et qu'ainsi, s'il n'y a plus d'exploitation - si l'usine est mise à l'arrêt définitif - au jour de la vente, cette substitution est impossible ?
Cette jurisprudence nous rappelle aux impératifs de prudence et de vigilance en particulier lors de la rédaction d’actes de vente de terrain ayant abrité des installations classées.
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